O' Quotidien

Le bien vivre de Montaigne, vu par M. Onfray

Le mercredi, c'est l'article !

Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas un article que je veux partager mais quelques lignes d'un livre.

Dans le cadre du coaching, on s'assure déjà que le coaché ait une vraie soif de vivre, d'être vivant, dans sa tête, dans son temps, dans sa cité, sans idées mortifères. La déprime ou la dépression ne sont pas, normalement, de la compétence d'un coach.

C'est de l'ordre du carpe diem, du bien vivre, du mieux vivre.

Du coup, une idée m'est venue, enfin plutôt un texte écrit par Michel Onfray - Une contre-histoire de la philosophie - Le christiannisme épicurien (vol 2), page 262. M. Onfray en est à nous parler de Michel Montaigne, et il en vient à un sujet crucial pour ce grand philosophe : le rapport de la mort à la vie... Je vous laisse avec la suite. Bonne lecture. Et on ne saura trop vous conseiller de lire Montaigne en vrai évidemment...

 

 

« Philosopher c'est apprendre à vivre. La vulgate l'enseigne depuis quatre siècles : Montaigne affirme que "Philosopher c'est apprendre à mourir". Certes... D'abord, la phrase, l'expression se trouvent chez Cicéron... Ensuite, il faut très exactement entendre l'inverse : "philosopher, c'est apprendre à vivre. Mieux : c'est apprendre à bien vivre pour ne pas craindre la mort et l'intégrer dans sa vie comme une chose naturelle... Car on n'apprend pas à mourir (...)
Etre pour la mort oblige d'abord à être pour la vie. Seule une bonne et belle vie, bien remplie, bien pleine, pas ratée, permet d'aborder sereinement la mort. Chaque vie doit être vécue de façon, à ne rien regretter de ce qu’on aura choisi et qu’on aimerait voir se reproduire si l’on avait le choix de revivre une autre vie. Cette leçon agit telle une recette, un principe sélectif, quand on hésite, tremble et ne sait pas quoi choisir ou vouloir.

 

Seul penser la mort apprend à vivre ; ce qui se lit aussi à l’envers : seul penser la vie apprend à mourir. De sorte que la phrase de Cicéron popularisée par Montaigne se comprend aussi en intervertissant les termes : vivre et mourir constituent l’avers et le revers de la même médaille. On ne vit pas l’un sans l’autre ; ils ne se séparent pas ; bien vivre et mal mourir s’excluent tout autant que mal vivre et bien mourir ; l’existence et le trépas se lisent en recto et verso d’une même feuille ; rater l’une et réussir l’autre ? impensable…

 

 

 

Mourir et avoir à mourir. La leçon de l’accident déplace le problème : Montaigne découvre que mourir n’est pas difficile. Un endormissement, un glissement, un passage doux, voire agréable. La conscience n’est plus là pour donner à la douleur son épaisseur, son acuité, sa force. Le trépas – sur ce sujet il diffère de La Boétie… - parait une chose facile : on n’est plus là. Seuls souffrent les spectateurs, la famille, les amis qui projettent des fictions et imaginent des douleurs disparues puisque la conscience et la raison ne sont plus là pour leur donner consistance.

 

En revanche, avoir à mourir, savoir qu’on va disparaitre, vivre avec cette pensée, voilà le problème. En bon élève des stoïciens, notre philosophe retient qu’à défaut d’agir sur la matière même du réel – inaccessible – nous pouvons intervenir sur ses représentations – les seules modalités du réel. Avoir à mourir, voilà une représentation. Je ne peux que m’imaginer mourant ; et encore : même mort, je ne le peux, car je m’imagine défunt, certes, mais pour cela il me faut tout l’arsenal du vivant : les cinq sens, une conscience claire et une raison en bon état. Or, quand je suis mort, tout cela a disparu. Quand je meurs même, les instruments utiles à mes représentations ne sont plus assez performants pour fabriquer dans la lucidité une douleur, une souffrance.

 

Pensons donc la mort, de notre vivant, quand il en est encore temps ; nous ne vivons pas comme si nous ne devions jamais mourir ; évitons de croire qu’elle ne concerne que les autres, plus tard, pas nous, ou de manière lointaine ; abordons-la en pleine forme, en pleine santé, volontairement, et non contraints par la maladie, l’âge, la vieillesse, l’agonie ; cessons de croire qu’elle se pense avec les arguments de la religion et de la théologie et abordons-la avec les armes de la philosophie.

 

D’où un recyclage des idées antiques préchrétiennes sur ce sujet : la mort n’est pas un mal, mais mal vivre oui ; elle n’est pas à craindre : si je suis là, elle n’y est pas, si elle est là, je n’y suis plus ; pleurer ce qu’on ne vivra pas est tout aussi ridicule que pleurer ce qu’on n’a pas vécu ; si elle est courte, on ne la voit pas, si elle dure, on est encore vivant ; en regard de l’éternité toutes les vis sont courtes, pourquoi vouloir un supplément ? La mort concerne tout le monde, des millions de gens avant nous, des millions après, quelle vanité de vouloir faire exception ! Si on a bien vécu, on n’a rien à craindre, si on a mal vécu, pourquoi vouloir ajouter au pensum ? Que serait le monde si nous ne laissions la place aux suivants comme on nous a laissé la place ? Une vie d’immortel serait une punition ; et autres recettes philosophiques. Rien de vraiment neuf, un catalogue d’idées stoïciennes et épicuriennes. Il est vrai que, le problème n’ayant pas changé, on voit mal pour quelles raisons les solutions auraient varié !

 

En attendant, l’intérêt n’est pas de mourir tout de suite, nous avons le temps, mais de vivre en sachant cela. Philosophie tragique, oui, mais pas pessimiste. Car Montaigne ne voit pas le pire partout – ni le meilleur, ce qui en ferait un optimiste. Mais il voit le réel tel qu’il est : travaillé par l’entropie, coulant, passant, fluide, et se dirigeant vers la mort. Pour tout et pour tous. Cette vérité d’évidence dégage une autre certitude et un autre problème : il s’agit moins de mourir de son vivant – comme y invitent les religions – en croyant faussement apprivoiser la mort, que de vivre sa vie pleinement. La tragique constitue un premier temps dans la pensée de Montaigne : une voie d’accès qui conduit au second temps, la vérité de sa philosophie, son aboutissement, son couronnement : l’hédonisme (…)

 

Vivre exige une sagesse gaie – rien d’autre. »

 



16/04/2014
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